Voici l'article en question :
L'idée est née d'un graphique diffusé sur leurs réseaux sociaux par l'agence britannique Esportif, qui représente les intérêts de nombreux joueurs à travers l'Europe, dont plusieurs internationaux. Les remontées de terrain ont permis d'établir une comparaison des postes les mieux rémunérés parmi les trois grandes ligues professionnelles européennes (Top 14, Ligue celte, Premiership anglaise). Ces pyramides des salaires font apparaître au plus haut niveau comme toujours les ouvreurs, le plus souvent aussi buteurs, mais désormais, et c'est une nouveauté, les deuxième-ligne (*). Plusieurs facteurs expliquent l'apparition de ce poste si singulier au sommet des grilles de rémunération avec en premier lieu l'évolution de leur rôle qui a accompagné la mutation du jeu.
De base, le deuxième-ligne possède des mensurations atypiques, distinctes du commun des mortels, et par conséquent des aptitudes athlétiques hors norme. Et si son objet dans le rugby d'avant était de pendre des ballons en touche, pousser en mêlée et distribuer discrètement quelques baffes, il doit, aujourd'hui, déplacer ses 2 m et ses 120 kg dans les mêmes proportions qu'un troisième-ligne, avoir les mains d'un trois-quarts centre pour faire jouer en pivot devant la défense ou après contact et la capacité explosive de franchir, en plus de toutes les tâches à multiplier dans les rucks ou au plaquage. Bref, un décathlonien du rugby.
240 778 € : Le salaire moyen brut annuel d'un joueur de Top 14 lors de la saison 2019-2020 (primes et avantage en nature compris), en recul de 2 % par rapport à l'exercice précédent (246 937 €). Les 30 joueurs les mieux payés du Championnat touchent en moyenne près de 580 000 € par an.
« Sa valeur s'explique par la rareté génétique des profils combinée au fait que tous les Championnats sont à sa recherche, explique un agent anglais. Mécaniquement, la concurrence fait augmenter les tarifs. Par ailleurs, nous sommes sur des garçons que la France forme peu, à l'image des numéros 8 ou les droitiers. Donc la demande explose. »
À l'heure actuelle, la mise de départ pour un numéro 4 ou 5 international français se négocie à partir de 30 000 à 35 000 euros net par mois. À titre de comparaison, Maro Itoje, la star de l'équipe d'Angleterre, avait sondé le marché tricolore l'an dernier et le point de départ des discussions se situait au million d'euros annuel.
L'arrivée en Europe des superstars étrangères après le mondial nippon de 2019, notamment les Sud-Africains, a eu un effet levier sur cette catégorie poids lourds au point de détrôner les piliers droit, l'autre produit rare du marché. « Ils sont peu nombreux dans les catégories Espoirs, on a du mal à en sortir. Ce qui est rare est cher et c'est la raison pour laquelle ils sont si bien payés en France », poursuit un vieux routier du marché tricolore.
La répartition des salaires par poste, du mieux au moins bien payé.
En Top 14, au-delà des joueurs de l'équipe de France, on retrouve des internationaux étrangers de premier plan comme Eben Etzebeth (Toulon), champion du monde avec les Springboks, les jumeaux australiens Rory et Richie Arnold à Toulouse et le Wallaby Will Skelton à La Rochelle, ou encore le polyvalent argentin (deuxième et troisième-ligne) Marcos Kremer au Stade Français.
En Angleterre, ce sont l'autre champion du monde Lood de Jager (Sale), le Wallaby Adam Coleman (London Irish) ou le Puma Thomas Lavanini (Leicester) qui ont posé leur valise en Premiership. Tous ces joueurs ont profité des inflations pré-Covid. La crise économique, qui enfle à mesure que les stades restent vides, a toutefois bouleversé la donne sur plusieurs aspects. « Prenons le cas d'un Pieter-Steph du Toit (champion du monde, capable de jouer deuxième et troisième-ligne). Certes, il est le meilleur joueur du monde (2019), mais il va coûter au bas mot 800 000 euros, nous dit un président du Top 14. On peut se dire qu'il les vaut sauf qu'il va disparaître six mois dans la saison pour aller jouer avec sa sélection. Donc, dans les faits, il t'en coûte le double. C'est exorbitant. »
Compte tenu de la situation financière actuelle, les clubs y regardent désormais à deux fois, d'abord sur le coût mais aussi sur l'opportunité d'investir sur un tel rapport prix/temps de présence au club. C'est une réalité du côté français qui subit plusieurs concurrences : il y a d'abord celle de l'Angleterre et sa règle du double marquee player, soit deux joueurs dont les salaires sont extraits du salary cap.
Il y a aussi le Japon en train de restructurer sa Super League avec des moyens économiques encore amplifiés et une législation allégée sur les joueurs étrangers. « Pour la première fois, les présidents ne se laissent plus tenter par un effet d'aubaine, témoigne le conseil de plusieurs internationaux français. Les clubs ne recrutent plus que ce qui est strictement nécessaire au regard de la qualité de leur effectif. C'est une tendance de marché : on préfère laisser une place à un joueur du centre formation ou aller chercher un jeune français. »
Typiquement, ce que l'UBB a entrepris en allant chercher le deuxième-ligne de Perpignan Alban Roussel (22 ans) tandis que deux autres champions du monde, Franco Mostert et RG Snyman, ont respectivement choisi de rejoindre le Japon et le Munster. « Les clubs français ne sont, pour l'heure, plus compétitifs », clame un observateur. Et même si Clermont a fait l'effort pour débaucher Lavanini et remplacer le retour imprévu de Timani en Australie, cette tendance se renforce à tous les postes.
(*) Ils sont les mieux payés en Ligue celte, ils se situent juste derrière les ouvreurs en France et en Angleterre.